Lorsque j’étais enfant, j’avais un antique et imposant lecteur de 33 tours. Je crois que je dû posséder quelque 33 tours de couleur noire. La nuit, j’aimais dans l’obscurité de ma chambre une chanson de Jacques Brel, ne me quitte pas.
Il faut dire qu’à l’époque les tourne-disques étaient basés sur un procédé mécanique. Le disque lui-même portait des creux qui varient en fonction de la mélodie. Le bras articulé du lecteur portait à son bout une aiguille qui suivait les sillons, les mélodies se répandaient en fonction des creux.
Quand on examine un disque 33 tours ou 45 tours, on observe à l’œil nu ces sillons. Il existe à leurs périphéries une partie vide. Souvent, elle présente quelques éraflures accidentelles qui provoquent, avant le début de la musique, quelques crépitements. Aussi, donc, lorsque j’écoutais, ne me quitte pas de Brel, cela débutait d’abord par quelques bruissements.
On pourrait penser qu’il s’agit d’imperfection, cela est vrai, à bien considérer les choses. Mais, j’ai intégré, à chaque fois, ces craquements à la mélodie elle-même.
Dans mes nuits, j’imaginais ces petits craquements comme le bruit du vent à travers les feuilles des arbres d’une forêt en hiver.
J’imaginais, encore, Brel revêtant un long manteau gris marchant dans cette forêt sur des plantes qui émettent les bruits des feuilles mortes que l’on foule.
Je ne pouvais m’imaginer écouter cette musique sans ces imperfections et ces crépitements.
Bien des années après, avec l’essor de la technologie, j’ai acheté un lecteur laser de disques numériques pour réécouter, comme lors de mon enfance, la chanson, ne me quitte pas, de Jacques Brel.
La qualité musicale était parfaite sans la moindre imperfection. Cependant me manquait ce rêve que provoquaient ces crépitements.
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