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DES INTELLECTUELS, DES GÉNOCIDES PRÉVENTIFS

Parmi les grandes opinions répandues chez certains penseurs, celle des assassinats par prévention revient par épisodes. Elle revient dans les moments de crises sociales. Le grand thème de ces opinions est le suivant. Si l’on possédait une machine à remonter le temps, il faudrait l’utiliser pour assassiner de grands criminels alors qu’ils sont encore enfants.

L’exemple le plus caractéristique concerne Hitler. Ainsi, dans des anticipations, dans des films, dans des romans, dans toutes sortes de publication, une personne utilise ce pouvoir de remonter le temps pour assassiner Hitler alors qu’il est dans son berceau. La grande théorie, en réalité une certitude pour ces penseurs, consiste en ce que la disparition de ce criminel, par l’effet de causes et d’effets, empêchera la survenue de la Seconde Guerre mondiale.

Probablement, faut-il en rapprocher un fait religieux repris par un ensemble de productions cinématographiques. Il est question des oppressions commises par Pharaon contre les Israéliens. En représailles, l’aîné male de chaque famille égyptienne disparaîtrait. Devrait-on y voir un assassinat préventif ?

Un groupe d’extrémistes religieux promeut l’assassinat d’enfants d’une religion différente, selon eux déviante. Ici, comme dans les exemples précédents, l’idée principale est que ces enfants lorsqu’ils grandiront, se transformeront en mécréants.

Il y a quelques décennies, un livre qui reprend cette idée générale fut publié. On n’en discuta, on lui accorda quelques crédits. Les auteurs de cet essai, en se basant sur une étude voulue sérieuse, annonçaient qu’on peut reconnaître les signes d’une future délinquance chez des enfants.

J’invite le lecteur à ne pas se tromper dans sa réflexion et dans son analyse. Ce qui est important, ce n’est pas le fait qu’il n’est pas possible de voyager dans le temps ni que cette étude psychologique sur les enfants est erronée. Ce qui est primordial est que des individus possèdent pareilles pensées. Rappelons-le, assassiner de façon prophylactique des enfants pour qu’ils ne deviennent pas de futurs criminels.

 Cette espèce d’opinion, finalement répandue, comporte des erreurs fondamentales.

L’une des erreurs consiste à confondre l’apparence avec sa cause. Ce n’est pas Hitler en lui-même qui pose un problème. Il aurait pu évoluer vers un citoyen banal. Le plus important eût été d’analyser la situation pour comprendre pourquoi un homme exerça une fascination sur des humains pour qu’ils accomplissent les destructions.

Dans l’exemple de signes annonciateurs d’enfants futurs criminels, la population visée fut essentiellement maghrébine émigrée en Europe. Pourtant, lorsque l’on examine les choses, dans leurs pays d’origine, ces mêmes enfants sont rarement conduits à se transformer en de futurs délinquants. C’est bien la société occidentale par le harcèlement qui les conduit à la marginalisation.

La Première Guerre mondiale est survenue dans le contexte de ce que l’on appelait la Belle Époque. Les Français étaient heureux, pourtant, alors que l’on s’y attendait le moins le, la Première Guerre survint. Combien d’enfants, en prévention, eut-il fallu assassiner pour empêcher la survenue de la Grande Guerre ?

L’exemple de la détection de signes annonciateurs chez les enfants d’une future délinquance représente, entre autres, ¸l’extension d’une angoisse et d’une rancœur envers les Maghrébins. Aussi banales soient-elles, aussi répandues et communes fussent telles, ces idées sont propagées par ces personnes en tant que preuves irréfutables de délinquance. Génétiquement, s’entend.

Avec ce genre de propos et de théories les sociétés s’absolvent de leur culpabilité. Elles deviennent préparées pour recommencer les mêmes erreurs que dans le passé. Avec à chaque fois un renforcement des certitudes que l’on devrait assassiner des personnes innocentes pour le bien de l’humanité. De manière préventive, bien entendu.

L’accumulation des propos des intellectuels, inexorablement, conduit à des situations de détresse. Elles produisent un cercle vicieux dans lequel ces détresses font que l’on accepte des aberrations. Il se crée le phénomène d’entretien des aberrations par l’aberration.

En fonction des circonstances, la situation évolue soit en direction des malaises collectifs, mais généralement, vers les génocides tels qu’on les connut, ou vers ceux que l’on connaît en ce moment.